Chili
1973-2003 : un autre 11 septembre Des néonazis adeptes du dictateur Pinochet Ci-dessous, nous vous proposons un article qui fut publié, en 1999, dans la version papier de notre revue « RésistanceS ». Ecrit par Thierry Delforge, un coopérant belge ayant vécu durant près de deux ans au Chili, cet article est un excellent reportage sur le mouvement néonazi chilien et ses complicités au sein de lEtat. Il nous montre également linfluence du nazisme allemand sur le régime pinochetiste et nous rappelle lexistence de la sinistre colonie Dignidad et de ses ex-nazis exilés au Chili. En octobre 1998, Augusto Pinochet était arrêté à Londres. En Europe, lextrême droite dans son ensemble, Margaret Thatcher et dautres ont manifesté leur soutien à lex-dictateur. Au même moment, au Chili, les néonazis pro-pinochetistes voulaient organiser un grand rassemblement international pour commémorer lanniversaire dAdolf Hitler !
Beaucoup de Chiliens sétonnent du haut-le-cur qui saisit les Européens à la vue des parades militaires de linfanterie chilienne qui a conservé le casque de la Wehrmacht, modèle 1940, et feignent lincompréhension devant lindignation que peut susciter lexistence dune avenue Pétain à Santiago. Voilà au contraire un motif de fierté pour la bourgeoisie chilienne, celle qui célèbre la « Journée de la Race » (sic), ou, naguère comme journée de fête nationale, lanniversaire du coup dEtat du 11 septembre 1973. Cest que le Chili officiel senorgueillit aussi de la sanglante « conquista » espagnole, de la « prussification » de son armée, à lépoque de lexpansion coloniale de lEmpire Allemand, de la « britannisation » de sa Marine de guerre et dune tradition de guerre civile où larmée na jamais failli dans le massacre douvriers ou de paysans désarmés. « Mein Kampf », manifeste politique et racial écrit par le père spirituel du nazisme, est étudié à lEcole militaire de lArmée chilienne et se trouve en vente chez tous les bouquinistes. Le fascisme français nest pas absent : en 1993, Pinochet, alors toujours chef suprême des Forces armées recevait Jean-Marie Le Pen. Bien entendu, comme le Brésil, lArgentine, lUruguay et le Paraguay, le Chili compte un fort contingent de nazis pensionnés et une nombreuse colonie dAllemands dont les ancêtres ont achevé, au XIXème siècle, la conquête des terres du Sud, arrachées par la force à la nation indienne Mapuche. On se souviendra quErnst Röhm, après avoir pris part au putsch manqué dAdolf Hitler à Munich et avant de diriger les sections dassaut (SA) du parti nazi allemand, sexila en Bolivie où il participa à la réorganisation de larmée bientôt engagée dans la désastreuse et sanglante « guerre du Chaco ». On évalue dautre part à soixante millions de dollars les sommes investies en Argentine par les organisations nazies, accueillies avec sympathie par lex-chef de lEtat, Juan Domingo Perón. Le même phénomène sest produit avec plus de profondeur et plus de discrétion au Chili, la démocratie-chrétienne ayant souvent servi de paravent honorable au caudillisme et aux différentes tendances fascistes, créoles ou importées, et sintitulant elle-même « La Phalange ». La Colonie Dignidad Linstallation de ce véritable camp retranché se fit sous lautorité dun « éducateur », poursuivi en République fédérale allemande pour faits de pédophilie, avec lassistance de Caritas Catolica et le patronage de Franz-Josef Strauss, président des sociaux-chrétiens bavarois (CSU). Outre un centre dhébergement pour des centaines denfants abandonnés, tant allemands que chiliens, la colonie devint une base dentraînement pour les milices du groupe fasciste « Patria y Libertad » (FNPL), un arsenal et différentes installations de type militaire comme un aérodrome, une station radar et un réseau de souterrains furent construits. Dès avant le coup dEtat du 11 septembre 1973, le général Pinochet avait établi des liens damitié et de coopération avec les dirigeants, dont le plus connu est Paul Schaeffer. Après le coup dEtat, la colonie devint un centre de torture et dextermination. On recense plus dune centaine de victimes. Lors de larrivée au pouvoir du gouvernement dit « de transition », dirigé par le social-chrétien Patricio Alwyn, et devant les révélations de plus en plus nombreuses et précises, des enquêtes furent menées, dès 1989, portant sur...la situation fiscale des entreprises développant des activités économiques au sein de Dignidad ! Dès que les accusations, fondées sur de nombreux témoignages de tortures, dassassinats, de séquestres, de sépultures clandestines, denlèvements denfants, de trafics dorganes, de viols de mineurs et de mauvais traitements, furent connues de lopinion publique, se mit en place tout un réseau de protections qui impliquait la police, des magistrats, la Cour suprême, les Forces armées, des personnalités de lEglise catholique et lambassade de RFA. Et bien entendu le journal « El Mercurio », auprès duquel « La Libre Belgique » paraît dangereusement révolutionnaire. Sauvant la face, le « gouvernement de la transition à la démocratie » obtint la dissolution de lentité juridique « Colonie de bienfaisance Dignidad », en 1991. Ce nest quen 1997 que la justice entama des poursuites contre Paul Schaeffer pour faits de pédophilie, sans que jamais il fût question dautres inculpations. Bien entendu, Schaeffer est maintenant introuvable. Alors que la colonie héberge des citoyens allemands, jamais la justice allemande, et moins encore les autorités, nont entamé la moindre démarche, fut-ce-t-elle diplomatique, pour assurer la protection de ses ressortissants. En 1997 encore, le président de la Cour suprême recevait personnellement des dignitaires de la colonie et leurs avocats. Hommes de main Laspect « culturel » de leur idéologie apparaît souvent comme un adjuvant romantique à la pensée unique : à la « fin de lhistoire » et à léconomisme, qui se heurtent de plein fouet à la réalité sociale et qui se retournent inévitablement contre ses propagandistes, sajoute le fatras idéologique des sectes et du nihilisme nazi ou fasciste espagnol, « Vive la mort ! ». Si le patronat chilien sest mobilisé comme un seul homme pour « sauver » Pinochet, cest aussi parce que les Forces armées sont étroitement impliquées dans les structures économiques du pays, depuis les participations croisées dans les grandes unités productives jusquà la perception dun impôt direct sur toutes les matières premières exportées. Enfin, la corruption et le chantage, éléments décisifs et indispensables pour accélérer leffondrement de lEtat, et gérer la misère en utilisant le « lumpenprolétariat », procurent aux groupes fascistes les moyens qui parfois leur manquaient. Rassemblement nazi Le secrétaire dEtat à lIntérieur a déclaré quil serait mis des obstacles à la présence détrangers ayant subi des condamnations pour faits de violence. On ne peut sempêcher de penser que pour ce qui est de la présence de nationaux-socialistes, fascistes et autres nazis, le gouvernement démocrate-chrétien-socialiste a déjà fait preuve de sa volonté de préserver le pluralisme qui sied à un pays qui a restauré la démocratie. Cest précisément parce quil sagit de restaurer la démocratie au Chili que nous devons entamer une campagne internationale pour linterdiction du rassemblement néonazi prévu en avril 2000. Celui-ci serait le symbole dune nouvelle défaite, non seulement pour le peuple chilien, mais pour tous les peuples du monde et pour tous ceux qui luttent contre le fascisme sous toutes ses formes et pour les véritables droits de lHomme. Thierry DELFORGE Remis en forme en août 2003 © asbl RésistanceS Bruxelles septembre 2003 |
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