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Interview exclusive sur les « années de plomb belges » Coup d'Etat en
Belgique? Plusieurs journalistes d’investigation ont enquêté sur les « années de plomb belges » (terrorisme « rouge » et « noir », tueries du Brabant wallon, déstabilisation de l’Etat, scandales à la Sûreté de l’Etat, implication du « lobby » pro-américain…). Walter De Bock, du quotidien flamand « De Morgen » est l’un de ceux-ci. Nous l’avons rencontré au sujet de ces « années noires » qui ébranlèrent la Belgique dans les années quatre-vingt. Walter De Bock nous parle en particulier d’une tentative de coup d’Etat programmé en 1973 dans notre pays ! Il témoigne également au sujet de l’existence de réseaux clandestins chargés d’organiser des opérations subversives sur notre territoire national. Ces réseaux liaient à la fois des services secrets des Etats-Unis, des instances de l’OTAN et des organisations terroristes d’extrême droite. Entretien exclusif avec RésistanceS.
Manuel ABRAMOWICZ : Au cours
de vos enquêtes, avez-vous eu connaissance d'un plan visant
à la déstabilisation du pays en vue d'y instaurer un
régime fort ? M.AZ : Quelles sont ces preuves
vous permettant d'affirmer que ce projet ait été planifié
à un moment donné dans les coulisses de la politique
belge ? Dans cette affaire, il est impératif de se remémorer le contexte de l'époque. Nous étions en pleine « guerre froide ». Le Bloc soviétique représentait le mal absolu et les propagandistes d'ultradroite le considéraient comme un danger immédiat pour la «paix sociale» de nos systèmes démocratiques. La contestation de la gauche radicale avait atteint son paroxysme, après la «révolution» de Mai 68. La perte du Congo belge faisait toujours l'objet d'une blessure ouverte pour de nombreux anciens coloniaux civils et militaires. La tension sociale en Belgique inquiétait beaucoup de membres des différents pouvoirs (politique, économique, judiciaire). Le cœur du dispositif militaro-politique de l'OTAN se trouvait déjà à Bruxelles, tout comme les sièges des principales organisations à la base de la construction européenne. La sécurité des institutions belges et étrangères deviendra une véritable obsession.
Pour leur part, les «belgicains» les plus extrémistes, ceux fidèles à la «Belgique de papa», manifestaient avec véhémence leur inquiétude vis-à-vis des projets de fédéralisation du pays. Pour eux, les choses étaient simples : la fin de la Belgique unitaire avait été programmée par les parlementaires ! Plusieurs éminents représentants de ces milieux ultraconservateurs décidèrent de sonner le tocsin. Un haut gradé de l'Armée belge et ancien du Congo, le major Guy Weber, lança un défi au gouvernement à l’occasion de la nomination d’officiers néerlandophones. Selon lui, cette nomination risquait de rompre l’unité nationale au sommet des forces armées. Weber fut suivi par les plus hautes autorités militaires, dont son chef de corps. Majoritairement francophones, ces officiers belgicains agissaient contre ce qu'ils pensaient être le démantèlement annoncé de l'Etat belge. Ces «rebelles» adoptèrent un discours radical et menaçant. A tel point que plusieurs hommes politiques de l'époque jugèrent nécessaire de réagir avec fermeté vis-à-vis de cette tentative d'intimidation orchestrée par des militaires sur les affaires de l'Etat. Le président du parti socialiste belge, par exemple, ne mâcha pas ses mots pour dénoncer les attitudes de « général d'opérette » de Weber et consorts. La tension était vive entre les deux camps. Ils ne se résumaient pas à se regarder en chien de faïence. Plus tard, pour avoir contesté une décision parlementaire, le colonel Weber sera enfin muté au SHAPE, le quartier-général de l'OTAN. Et l’affaire en resta là. Sans l’ouverture d’aucune enquête. M.AZ : Pouvez-vous nous en dire
un peu plus sur ces fameux hommes de l'ombre, sur ces «comploteurs»
? Qui étaient les membres de cette conspiration ? Quelle était
la raison de leur projet d'Etat fort ? Les têtes pensantes du putsch le voulaient unitaire. C'est donc pour cette raison qu'ils prirent très vite contact avec des milieux conservateurs flamands, entre autres avec un avocat, par ailleurs principal bailleur de fonds de l'extrême droite anversoise. Des comptes rendus montrent que des réunions eurent lieu à Anvers, à Liège et surtout dans un café à deux pas de la gare du Luxembourg, à Bruxelles. Cette même mouvance particulière jouait un rôle central dans le lobby qui soutenait le régime raciste en Afrique du sud. D'autres liens se forgèrent avec les principaux pays dictatoriaux pro-occidentaux, via des organisations internationales anticommunistes et des services de renseignement officiels ou parallèles.
A côté du mouvement de jeunesse JBJ, l’extrême droite menait une vigoureuse campagne de propagande pour diffuser ses idéaux. Le journal «Nouvel Europe magazine» (NEM) et ses cercles militants, les NEM-Clubs, servaient de relais médiatique à cette campagne qui ciblait en particulier l’Ecole royale militaire et la légion mobile de la gendarmerie. En leur sein, beaucoup de sympathisants et de membres actifs seront recrutés. A ma connaissance, depuis la Libération, ce fut la première fois que des officiers d’active et de réserve rejoignirent au grand jour un mouvement d’extrême droite. Ce qui est pourtant totalement interdit ! Le NEM était un instrument de la droite nationale belge, alors incarnée par le CEPIC. La branche jeune des NEM-Clubs deviendra le Front de la jeunesse, une véritable milice privée et paramilitaire néofasciste au service, jusqu'à la fin des années septante, de la même mouvance. Deux hommes de l'ombre furent les courroies de transmission entre les divers «pions» de ce plan de déstabilisation. Il s'agit d'Emile Lecerf et de Florimond Damman. Le premier dirigeait le «Nouvel Europe magazine» et était le «parrain politique» des principaux dirigeants néofascistes, dont Francis Dossogne (Front de la jeunesse) et plus tard Paul Latinus (le führer du Westland new post). Lecerf était nommément désigné dans un rapport de la BSR (daté du 10 septembre 1973) comme étant l'un des chefs d'orchestre du réseau clandestin antidémocratique à la base du coup d’Etat. Le second, Florimond Damman, est moins connu, mais appartenait à la «bourgeoise d’affaires». Il était notamment lié à des aristocrates proches du Palais royal et de l’OTAN. Damman fut le maillon de référence d'un réseau international anticommuniste impliqué dans des actions clandestines. Via plusieurs organisations européennes dans lesquelles ce personnage évoluait, la droite conservatrice côtoyait l'extrême droite subversive. Damman avait de très bonnes relations avec un ministre franquiste et membre important de l'Opus Dei. Il était surtout lié à Yves Guérin-Sérac, la figure de proue d'une organisation internationale de «stratégie de la tension» au service des régimes de la droite dure et «travaillant» avec des services secrets atlantistes (2). M.AZ : Les documents internes
que vous aviez récoltés, les éléments
matériels existants et les témoignages recueillis seront-ils
par la suite complétés par d'autres preuves démontrant
la tentative de coup d'Etat ? L’existence jusqu’au début des années nonante d’un réseau parallèle constitué de militaires d’extrême droite fut encore confirmée. Pour rappel, l’objectif de plusieurs personnalités impliquées dans ce groupe antidémocratique était l'instauration d'un pouvoir fort en Belgique et la constitution d’un gouvernement de «salut national». Instauré par la force… Propos recueillis par Manuel ABRAMOWICZ Notes : © RésistanceS –
Bruxelles- Belgium – mise en ligne de cet entretien exclusif
: 25 février 2004. |